PROLOGUE

Les Alpes face au dérèglement climatique

SOMMAIRE

Dérèglement climatique : de quoi parle-t-on ?

Dérèglement climatique dans les Alpes : un constat glaçant

Au Claret, le climat n’est plus dans une forme olympique

Dérèglement climatique, de quoi parle-t-on ? 

Petit tour d’horizon du lexique qui gravite autour du dérèglement climatique, afin de mieux en cerner les enjeux.

Dérèglement climatique dans les Alpes : un constat glaçant   

Depuis 1864, la température a augmenté de 2°C dans les Alpes françaises. Un réchauffement auquel les activités humaines participent et qui n’est pas sans conséquence. Les glaciers et les écosystèmes sont en danger, tandis que le manque de neige au-dessous de 1.300m condamne de nombreuses stations.

Et si la Mer de Glace devenait une simple mare ? Depuis 1990, ce glacier du Mont-Blanc a perdu 100 mètres d’épaisseur, tandis que sa taille a diminué de 800 mètres. Ces chiffres, donnés par le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à Franceinfo, donnent le vertige. C’est un peu comme si la tour Eiffel perdait un étage. A certains endroits, vers Montenvers par exemple, l’épaisseur du glacier s’amenuise de 4 à 5 mètres par an. Il y a 100 ans, seuls quelques centimètres s’évaporaient par année. A ces chiffres éloquents s’ajoutent des photos tout aussi révélatrices, où la forêt a remplacé la neige.

Evidemment, cette fonte n’est pas sans conséquence. Un simple exemple : la centrale hydroélectrique de la Mer. Placée sous la glace, elle fonctionne grâce à l’eau de fonte arrivant en puissants jets. En 2009, les techniciens ont dû remonter le point de captage d’un kilomètre, à cause du recul du glacier. A terme, la centrale pourrait se trouver dans l’incapacité de recevoir le moindre millilitre. Les autorités seraient obligées de trouver une solution de secours pour les quelque 50 000 personnes desservies. Chamonix, commune voisine de la Mer de Glace, accueille environ 4 millions de touristes par an.

Ruser pour continuer

Car l’enjeu touristique est tout aussi important. Une dégradation trop brutale du glacier réduirait l’attrait pour le lieu. Le manteau neigeux diminue lui aussi d’année en année. Et les stations de ski de moyenne altitude sont les plus touchées. En France, entre 1952 et 2019, 100 domaines skiables ont fermé, dont 45 à cause d’un taux d’enneigement trop faible, selon des données collectées par Le Monde. Parmi ceux demeurant ouverts, beaucoup sont en difficulté. Le Col de Porte, en Isère, n’est correctement enneigé que 28 jours par an. En 1960, il l’était pendant 64 jours. Face à ces pertes, il a fallu ruser, et effectuer un gros travail de damage. Etienne Rollin, directeur des pistes de ski de fond, développe : « Les dameurs restent trois heures par nuit, et leur travail devient de plus en plus technique, ils doivent constituer des tas pour que ça fonde moins vite. » C’est pourquoi les bords de piste sont vides de tout manteau blanc. Au col de Porte, la neige est présente de mi-novembre à début avril. « Après, il n’y en a plus assez pour pouvoir damer », complète le gérant. Selon lui, ces trois dernières années, la fonte a été encore plus rapide : « L’année dernière, deux jours après le confinement, il n’y avait plus rien, je n’avais jamais vu ça en quinze ans. »  Il n’imagine pas pour l’instant recourir massivement à de la neige artificielle, même si elle est déjà utilisée à Noël. Finalement, la chance du domaine vient du malheur des stations de basse altitude, dont le déficit d’enneigement a obligé les skieurs à migrer vers Porte. « A Sappey [900m d’altitude, en contrebas de Porte, NDLR], ils ont à peine trois jours corrects sur trois semaines d’enneigement », glisse fataliste Etienne Rollin.

Espèces en déroute

Comme si ces difficultés ne suffisaient pas, falaises et montagnes font également face à de nombreux éboulements. Les constats sont divers : les pics maigrissent à vue d’œil et les coulées de boue menacent les vallées. Chaque fois, une même impression : les Alpes s’effritent. Dans le massif du Mont-Blanc, les roches se sont détachées 153 fois en 2003, année caniculaire, selon les chiffres du centre de surveillance PermaFrance publiés par Risknat. Plus que ces éboulements, la fonte du permafrost inquiète particulièrement. « Depuis les années 80, on remarque une accélération de cette dégradation, liée à l’évolution du climat », indique Xavier Bodin, géomorphologue du CNRS. Il donne deux exemples : les parois de l’aiguille des Drus, proche du Mont-Blanc, et le glacier rocheux de Laurichard, un amas de cailloux mélangés à de la glace, vers le Lautaret. « Les glaciers rocheux gardent la même forme, mais s’affaissent », précise le scientifique. « Il y a 40 ans, l’écoulement de Laurichard était de 50cm par an, aujourd’hui c’est le double. » En clair, le glacier rocheux perd de plus en plus de matière. Un risque pèse inévitablement sur les vallées : « Ils libèrent des matériaux qui rejoignent les torrents. En cas de débordement, les habitations sont menacées. » Comme en 2015, à Lanslevillard, lorsqu’une entreprise de dameuses avait été submergée par de la boue, des pierres et du bois.

« Tout ce qui se situe entre 2 500 et 3 000 mètres est menacé par la dégradation du permafrost »
– Xavier Bodin, géomorphologue

Entre fonte et effondrements rocheux, les glaciers ne sont pas épargnés. Peu à peu, neige et glace sont remplacés par des forêts et de la verdure. Ces bouleversements ont un impact fort sur la biodiversité. Comme le Centre de recherches sur les écosystèmes d’altitude (CREA) l’explique sur son site internet, cette remontée végétale est aussi conditionnée par le réchauffement, et pas seulement par le recul des glaciers. Pour fuir la chaleur, en forte augmentation, les insectes, arbres ou oiseaux se déplacent vers les sommets. Chaque espèce ne réagit pas de la même façon, or les groupes interagissent habituellement entre eux. Une concurrence s’établit entre animaux de plaine et de montagne. Le CREA a par exemple constaté que les lièvres venus d’en bas grignotaient le terrain du lièvre variable, vivant en altitude. Celui-ci est en plus menacé par la fonte avancée du manteau neigeux. Blanc en hiver, marron l’été, son pelage mue en fonction de la durée du jour. Quand la neige fond avant le printemps, le lièvre demeure blanc au milieu d’un paysage qui ne l’est plus, à la merci de tous les prédateurs. Fourbe, le changement climatique l’est aussi avec la grenouille rousse. Une neige disparaissant plus tôt lui permet d’accéder aux mares de reproduction rapidement, augmentant la saison de croissance des têtards. Un bénéfice qui devient parfois un piège. En cas de sécheresse estivale, l’eau s’évapore avant que les amphibiens aient terminé de grandir. Mort assurée.

L’Homme, à la fois coupable et témoin

Comment expliquer tous ces phénomènes ? Le coupable est connu de tous depuis des décennies maintenant : le dérèglement climatique. A la fois témoin et complice, l’être humain participe largement à son accélération. Par ses activités, notamment industrielles, il amplifie le réchauffement de l’air ambiant, comme en attestent les nombreux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Cette augmentation se répercute dans la température des sols, y compris ceux gelés en permanence. Dans les Alpes, tous les massifs au-dessus de 2.500m sont constitués de roches à l’état de permafrost. Pour Xavier Bodin, « tout ce qui se situe entre 2.500 et 3.000 mètres est menacé par la dégradation du permafrost ». Il précise : « La chaleur qui provient du réchauffement de l’atmosphère fait fondre la glace. » A basse altitude, cela paraît totalement logique, mais dans les hauteurs, c’est assez récent. « La teneur en eau liquide augmente, et la roche se déforme plus rapidement, se déstabilisant. »

De mal en pis

Les montagnes et vallées sont certes les principales victimes, mais l’Homme n’est pas à l’abri. « Dans les stations de ski, en Vanoise surtout, construites sur des glaciers rocheux, la fonte accélérée pose des soucis de maintenance des infrastructures », ajoute le scientifique. Des accidents sont donc possibles. « On n’a aucune idée de la fréquence de ces événements, dont la dangerosité dépend aussi de la morphologie des lieux, de la présence de replats ou de pentes raides. » Seule certitude, la probabilité des effondrements est accrue par le dérèglement climatique, lui-même intensifié par les actions humaines. Au premier rang de celles-ci : les transports.

Le rapport de l’Orcae de 2018, relevant les émissions de gaz en Auvergne-Rhône-Alpes, leur impute un tiers des émissions de gaz à effet de serre. En Rhône-Alpes, 40 millions de tonnes équivalent carbone ont été relâchées en 2015. Un chiffre qui reste stable depuis 30 ans. La ligne Annecy-Chambéry-Grenoble est la plus émettrice. Les effets de cette pollution se ressentent principalement en montagne. Dans les Alpes, le CREA a observé une augmentation de 2°C depuis 1864, quand l’ensemble de la France s’est réchauffé d’1,4°C. Et si, en 2050, la température augmente au même rythme qu’actuellement, 15 à 20 jours seront dits « tropicaux », soit dépassant 32°C. Aujourd’hui, il y en a 2.

En 2018, les transports ont émis 16 000 kteqCO2. L’industrie, elle, a relâché 13 000 kteqCO2.

Les domaines skiables n’ont pas fini de souffrir non plus. En 2019, selon Le Monde, près de 100 stations des Alpes du Nord étaient correctement enneigées 100 jours par an, une barre considérée comme essentielle pour garantir une certaine viabilité économique. En cas de réchauffement de 2°C d’ici à la fin du siècle, ce nombre passera à 70. Quant à la Mer de Glace, les chercheurs du Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement (LGGE) de Grenoble estiment que le front du glacier devrait encore reculer de 1,2km d’ici à 2040. Et cela n’est pas près de s’arrêter. Selon Christian Vincent, scientifique du CNRS interrogé sur Franceinfo, en cas d’une augmentation des températures de 3 degrés, par rapport à l’ère préindustrielle, le glacier de la Mer de Glace aura perdu 80% de sa surface en 2100.

Dérèglement climatique et Alpes ne font pas bon ménage. La pression sur les montagnes s’accentue. Le président de France Nature-Environnement, Francis Odier, incite les communes à « engager une reconversion, sur quatre saisons, pour leur domaine skiable ». Pour lui, « il faut arrêter les projets immobiliers, car ils prennent de plus en plus de place et augmentent le trafic routier, très polluant. » Avec le plan de relance proposé par le gouvernement, il craint « une multiplication des entreprises d’agrandissement dans les quatre ans à venir. » Des affaires qui ne feront pas celles des Alpes, où les bouleversements environnementaux constatés se transforment en véritable mer de problèmes.

Au Claret, le climat n’est plus dans une forme olympique

Cinquante-trois ans après les Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble, le site du Claret a bien changé. La neige se fait rare, voire inexistante. Visionnez la vidéo ci-dessous pour en apprendre plus. 

Pauline Roussel, Antonin Aubry, David Weichert et Pierre-Antoine Valade