Chapitre 4

Résiste, prouve que tu existes !

L’adaptation des entreprises

Sommaire

Le snowfarming, de nouvelles saisons avec de la vieille neige

Les guides de montagne face au réchauffement climatique

Court-circuiter les gaz à effet de serre

Le snowfarming, de nouvelles saisons avec de la vieille neige

Les stations de sport montagnardes subissent les effets du déréglement climatique de manière visible. Le nombre de jours où il neige a fortement chuté ces dix dernières années. Il est passé de 34 à 22 jours dans les Alpes. Pour continuer d’attirer les touristes, la station de ski de Bessans en Savoie a recours à une technique pour conserver et recycler la neige d’une saison à l’autre. On appelle ça le snowfarming, et c’est un succès.

« Notre métier est en train de changer » : les guides de montagne face au dérèglement climatique

Fonte des glaciers, risques accrus d’éboulements de pierres, terrains devenus impraticables… Confrontés directement aux conséquences du réchauffement climatique, les guides de montagne sont contraints de faire évoluer leur pratique pour répondre aux enjeux environnementaux.


La couverture du Triangle du Tacul, dans le massif du Mont Blanc, a perdu 45 cm d’épaisseur au cours du seul été 2017. (DR)

« Notre terrain de jeu est en train de rétrécir, le métier change », constate Philippe Brass, guide depuis près de 40 ans dans le massif des Ecrins. « Il y a moins de cascades de glace et de neige, les hivers sont de plus en plus irréguliers. On oscille entre moins 10 et 20 degrés. Le temps est de plus en plus anomique. Il y a une modification du terrain : comme il y a moins de glaciers, il y a des courses glacières qu’on ne fera plus. », raconte-t-il d’une voix triste. Cette évolution l’a conduit à revoir les mois et les lieux où il exerce son activité.

« Il y a beaucoup plus d’éboulements car il n’y a plus de permafrost qui retient les chutes de pierres. Beaucoup d’itinéraires deviennent plus difficiles. Par exemple, la traversée de la Meije est devenue impossible car trop dangereuse. On fait d’autres massifs et sommets. », précise-t-il d’un air triste. « Avant, je travaillais beaucoup en juillet et en août mais les températures ont rendu certains parcours trop risqués. Maintenant ma saison démarre en mai ou en juin pour pouvoir profiter de la neige. »

« Intelligence climatique »  

Pour autant, les guides ont su trouver d’autres stratégies d’adaptation pour continuer d’exercer leur profession. C’est ce qu’a constaté Jacques Mourey, géographe à l’université Savoie Mont Blanc, dans un article co-écrit avec d’autres chercheurs : « On note une diversification des activités. Les guides proposent aujourd’hui de la randonnée, de l’exploration de canyons ou du VTT. » Il souligne également un changement de techniques et de matériel utilisés : « Le réchauffement climatique et la fonte de neige provoquent plus d’éboulements et agrandissent les crevasses. Pour limiter les risques on va utiliser plus de corde. Pour prendre un exemple concret, avant, pour l’ascension du Mont Blanc, on prenait un seul brin de corde, maintenant on a tendance à en prendre plus pour assurer notre sécurité. » 

Mais surtout, le géographe évoque la notion « d’intelligence climatique ». « Aujourd’hui les guides ont besoin de cette compétence d’analyse, d’expertise des conditions climatiques, géologiques, qui viennent s’ajouter à la gestion de la corde et du client. » Cette facette du métier fait désormais partie intégrante de leur formation.        

Sensibiliser les guides et leurs clients

Pour Jean-Sébastien Knoerzter, formateur à l’école nationale de ski et d’alpinisme (ENSA), « le guide est le premier maillon d’une chaîne de prise de conscience sur l’environnement. » En effet, depuis 2019, l’ENSA a rajouté une semaine de formation aux guides, exclusivement consacrée aux enjeux climatiques. Ces derniers semblent aujourd’hui faire consensus dans la profession. « On fait venir des scientifiques pour qu’ils présentent les risques et comment s’en prémunir. Il y a un volet théorique et sécurité. On apprend aux guides à sensibiliser leurs clients à l’environnement. » Cette prise de conscience écologique s’illustre d’ailleurs dans l’actualité : depuis quelques semaines les guides de Chamonix se mobilisent contre la sur-fréquentation aérienne au-dessus du massif du Mont Blanc.

Du côté des jeunes guides, le message est bien passé : Brad Carlson est écologue, et a suivi la formation de l’ENSA pour devenir guide il y a deux ans. Aujourd’hui, les enjeux environnementaux sont au centre de sa pratique : « Le but, c’est aussi de transmettre des compétences au client sur l’observation de la faune et de la flore par exemple. Je préfère valoriser l’expérience vécue en montagne et proposer des projets plus larges que l’ascension d’un sommet prévue à l’avance.  En tant que guide, on a une responsabilité de sensibilisation. On devient médiateur et éducateur environnemental en quelque sorte. J’essaie de proposer des lieux et des expériences inconnues à mes clients, en utilisant au maximum les transports en commun et en consommant de la nourriture locale. Notre but, c’est de sauvegarder notre terrain, réfléchir à notre impact. »

Outre le fait de s’interroger sur son impact, le jeune guide prône aussi une remise en question de l’imaginaire de la montagne véhiculé par certains de ses confrères : « Si on transmet un cliché sur des paysages blancs immaculés, nous sommes condamnés à ne pas pouvoir présenter cette image idyllique bien longtemps. Il faut faire rêver les gens autrement : la neige et la glace sont des supports. Il y en a d’autres, comme les forêts ou les rochers. Il faut montrer que la montagne n’est pas forcément enneigée et qu’il y a autre chose à découvrir. », conclut l’écologue. Si l’alpiniste Grenoblois Lionel Terray parlait des férus de montagne comme des « conquérants de l’inutile » dans les années 60, force est de constater que ces derniers sont aujourd’hui des acteurs indispensables à la sensibilisation et à la préservation de cet environnement fragile.    

Court-circuiter les gaz à effet de serre

De nombreux Français privilégient une alimentation locale dans l’optique de diminuer leur empreinte carbone. Une tendance à la hausse, alors que le réchauffement climatique se fait déjà sentir parmi les agriculteurs de la région iséroise.

Acheter en circuit court, comment ça marche ?

Fonte des glaces, destruction de la couche d’ozone, diminution de la biodiversité…. Bon, le réchauffement climatique n’est plus un secret pour personne, mais où commencer pour diminuer son empreinte carbone ? Et bien à Grenoble, comme partout en France, il est possible d’acheter fruits, légumes frais et produits de la ferme à proximité de chez soi. C’est le cas au Local, une entreprise en groupement d’achats du quartier Malherbe. On y a rencontré Adeline Anglaret, l’une des co-fondatrices. Elle travaille en circuit court avec les agriculteurs de la région, Au Local est donc le seul intermédiaire entre les producteurs et le consommateur. L’objectif ? Éviter d’acheter des carottes et poireaux ayant fait plus de bornes que nous depuis un an, restrictions sanitaires obligent !

Adeline Anglaret : Les gens précommandent les produits qu’ils veulent. Il n’y a pas de minimum d’achat, pas d’engagement, pas de paniers fixes, comme c’est le cas dans les AMAP. Le lundi soir, on a une commande globale par producteur, ce qui nous permet de commander en gros. Les commandes sont récupérées le jeudi par Abdel, notre chauffeur-livreur. On a les prix de vente directe des producteurs et de cette manière-là, les prix sont accessibles ! Le vendredi, on fait la pesée et le dispatch. On condense le temps de préparation, ce qui nous permet de faire du panier individualisé et de rationaliser notre temps. C’est ainsi qu’on peut arriver à être rentables. On n’a pas de perte, pas de gâchis, pas de stock à gérer. De cette manière-là, on a une marge de 23%.

Bon, petite ombre au tableau, les stocks sont variables, en fonction des saisons et de la météo…

Adeline Anglaret : Il y a le creux d’avril : c’est la fin des légumes d’hiver. Il faut qu’il fasse chaud pour que les légumes de printemps, les petits pois, les carottes sortent et soient de taille à les vendre ! Donc il y a un flottement, ça, on l’a expliqué aux gens : ne partez pas de chez nous, il faut accepter que vous ayez encore un peu de légumes d’hiver et que ça traine, mais ça va arriver !

Et les inconvénients de produire au rythme des saisons, Jeremy Rajat les connait bien. Cet agriculteur travaille à Prabert, à 30 km au nord-est de Grenoble. Dans la ferme familiale, il fait de la vente directe de viande, de pommes de terre et de sapins pour les fêtes. Il travaille aussi avec des enseignes bio aux alentours, en circuit court donc. Et au rythme des années, il a remarqué des changements sur ses terrains.

Jeremy Rajat : Bon, ça fait assez longtemps que ça commence à parler de sécheresse [parmi les agriculteurs, nldr] mais c’est vrai que les trois dernières années ont vraiment été difficiles pour les prairies locales. Il y a de grands coups de sec d’un mois, des coups de pluie de plus en plus rares. Il y a des plantes qui sortent, qui n’ont aucun intérêt mais qui sont résistantes [à la sécheresse]. Et les bonnes graminées, les bonnes herbes dont on aurait besoin pour produire du fourrage, elles ne sont plus là.

Et dans ce cas là, vous faites quoi ?

Jeremy Rajat : J’essaie de faire un peu de rotation de culture et j’ai acheté une herse pour aérer le sol et de faire des sur-semis. Cela devrait permettre de régénérer un petit peu les prairies qui n’y arrivent plus toutes seules.

Et vous le faites depuis combien de temps ?

Jeremy Rajat : Là ça sera la première année. Mais c’est vrai que chaque année, on essaie de trouver des solutions parce qu’on a une perte de fourrage. Pour l’instant, on tape dans les stocks qu’on est arrivé à avoir jusqu’ici. Mais c’est un éternel recommencement et ça nous fait beaucoup nous remettre en question sur les pratiques que l’on a eu jusqu’à aujourd’hui. On ne sait pas ce qu’on aura demain !

Elian Barascud, Rania Gabel et Clémentine Prouteau